Votre livre se penche sur les rencontres entre parents et enfant lorsque ce dernier s’est vu confié à l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Que représentent ces moments, qu’est ce qui s’y joue pour les parents, l’enfant et le tiers ?
N. B. : Les visites médiatisées sont des temps de remises en contact protégés par la présence obligatoire d’un tiers professionnel, entre un enfant qui a fait l’objet d’une mesure de protection judiciaire, et son ou ses parents dont l’autorité parentale a été restreinte, du fait d’une situation de danger ou de risque de danger de l’enfant suspectée ou avérée. C’est une mesure qui vise à protéger les maintiens des relations entre l’enfant et son parent, utile et nécessaire pour la construction psychique de l’enfant, tout en donnant la possibilité, d’une part d’évaluer la qualité des liens, les capacités parentales, pour faire court, et d’autre part, donner la possibilité d’accompagner enfant et parent dans un travail d’élaboration de cette mesure de protection. Cet accompagnement doit permettre aux enfants et aux parents de penser leur histoire, leurs liens, leurs façon d’être en relation, etc.
Vous proposez des clés de réflexion aux professionnels confrontés à la médiatisation de ces visites sans nécessairement avoir été sensibilisés et formés à leurs enjeux ?
N. B. : Beaucoup de professionnels avouent « faire à leur sauce » ou se sentir illégitimes. Trop peu de professionnels sont formés à cette pratique, ni supervisés, et font – et la plupart du temps avec de très bonnes intentions – avec « leurs tripes ». Le tiers mandaté, qui travaille seul ou en binôme doit être disponible et engagé à cette tâche pour œuvrer au sein de cette intimité familiale. Dans les faits, cette capacité n’est pas donnée en soi. Les visites en présence obligatoire ou intermittente d’un tiers est une situation de contrainte pour tous leurs protagonistes. Au départ, il est plus question de surveillance que d’accompagnement, notamment du point de vue des parents. Il est donc question de bâtir – à partir de ce qui se joue dans l’ici et maintenant de la rencontre, par exemple, le goûter, un temps de jeu –, les conditions pour que les visites deviennent un dispositif de travail sur les liens familiaux. Tout l’enjeu pour le tiers est de comprendre ce qui se joue à tel ou tel moment pour l’enfant ou pour le parent afin d’œuvrer au mieux dans son travail d’étayage, et de parvenir, par sa présence et sa réflexivité, à conduire les parents à cheminer sur leur propre parentalité et sur ce qui a conduit à cette mesure de protection, tout en étayant l’enfant pour lui-même. Quand c’est le cas, les parents témoignent de ce travail en évoquant des éléments de leur histoire avec leurs propres parents et commencent à faire des liens avec des comportements qu’ils reproduisent malgré eux avec leur enfant, ce qui dégage leur enfant de projections identificatoires. Cependant, il y a des parents qui sont dans de telles souffrances narcissiques qu’ils se montrent incapables de cheminer de cette façon. D’autres présentent une telle psychopathologie, qu’il est surtout question de préserver et de protéger l’enfant de toutes modalités relationnelles pathogènes. Les professionnels en charge de médiatiser doivent aussi savoir repérer quand il est nécessaire de stopper une visite, ou quand les conditions ne sont pas réunies pour assurer un fond de sécurité.
Pour cela, vous vous appuyez sur la théorie psychanalytique ?
N. B. : La référence à la théorie psychanalytique en psychologie clinique, ce que l’on appelle, l’approche psychodynamique, m’est en effet très utile pour trouver des leviers de compréhension. Certains agissements parentaux peuvent paraître énigmatiques. Par la reconnaissance de processus psychiques inconscients, la psychanalyse contemporaine offre une grille de lecture des mécanismes mortifères à l’œuvre au sein des relations parent-enfants, et plus largement de la dynamique familiale. Si la psychanalyse est aujourd’hui décriée, c’est qu’elle est très souvent caricaturée. La psychanalyse est une discipline vivante, qui évolue et s’enrichit de manière continue. Elle reste pour moi d’une grande aide pour comprendre certains comportements paradoxaux ou pour trouver des leviers d’intervention. Outre cette approche, je nourris également mon analyse en m’appuyant sur d’autres courants de pensée, d’autres épistémologies comme les neurosciences. Au lieu de de les opposer, je pense qu’il est plus utile de construire des ponts entre elles et de s’enrichir de leur complémentarité, comme Jean-Pol Tassin ou d’autres le font avec brio !
Même si votre ouvrage est issu d’une thèse universitaire, récompensée par l’Observatoire national de la protection de l’enfance et la Fondation de France, il s’adresse en premier lieu aux praticiens et non pas aux chercheurs. Pourquoi cette volonté ?
N. B. : En 2006, psychologue depuis 4 ans, alors que je suis amenée à médiatiser pour la première fois des visites et à me pencher sur cette pratique, la lecture des ouvrages respectifs de Myriam David et de Maurice Berger m’ont aidée à en penser le cadre et les enjeux. Cependant, devant la complexité des situations (inceste, maltraitance, handicap mental, divorce conflictuel, violences conjugales), la contrainte exercée sur les parents par ma présence, l’imposition de visites à des enfants qui ne voulaient pas voir leur père, je me suis sentie dépourvue de repères établis pour penser mon positionnement. Je me suis rendue compte qu’il n’existait pas de référentiel commun à proprement parler pour aider les professionnels, qu’ils soient psychologues, éducateurs ou travailleurs sociaux à penser les bases et les enjeux de la médiatisation. C’est comme cela que j’ai poursuivi mes travaux sur le sujet, d’abord dans le cadre d’un master de recherche en 2012 puis dans le cadre d’un doctorat. Ce travail universitaire, fruit d’échanges fertiles avec notamment René Roussillon et Vincent Di Rocco de la faculté de Lyon 2 (CRRPC), a donc abouti à une modélisation des processus de la médiatisation visant à aider les professionnels à penser leur pratique et leurs interventions.
Quel regard portez-vous de manière générale sur la protection de l’enfance ?
N. B. : La protection de l’enfance est aujourd’hui un secteur en souffrance. Plusieurs professionnels se sont organisés en collectifs pour le faire entendre. De façon générale, ceux-ci font preuve d’un engagement remarquable, mais ils manquent de moyens humains et financiers pour accomplir leur mission dans de bonnes conditions. Le manque de moyens conduit à un cercle vicieux : un secteur en crise, une baisse des vocations, une baisse de professionnels formés en MECS (Maisons d’enfants à caractère social), en dépit d’un nombre grandissant d’enfants jeunes présentant des troubles du comportement, et qui plus est, accédant peu aux soins en pédopsychiatrie, secteur connexe à la protection de l’enfance lui-même en crise. De ce fait, la protection de l’enfance est souvent pointée du doigt par des enquêtes d’investigations qui fustigent la profession en pointant des pratiques abusives qui restent pourtant marginales.
Il y a pourtant eu ces dernières années un fort engagement de la part du gouvernement, sous l’impulsion de l’ancien secrétaire de la protection de l’enfance, Adrien Taquet, mais les décisions prises tardent à se traduire concrètement sur le terrain. Il est nécessaire de donner des moyens à la mesure de la tâche des professionnels de secteur qui accompagnent des familles vulnérables et vulnérabilisées. D’ailleurs, au-delà des moyens, une autre piste d’amélioration pourrait être de repenser la protection de l’enfance en protection de la famille.