Du Crève-coeur au Fou d’Elsa, une plongée dans le versant intime de l’engagement d’Aragon, son « goût de l’absolu » et sa déclinaison dans son œuvre poétique.
Cet essai est consacré au versant intime de l’engagement d’Aragon, son « goût de l’absolu » et sa déclinaison dans son œuvre poétique, au-delà du pôle d’attraction constitué par l’amour, dans le corps-à-corps avec l’Histoire. Il invite à un parcours chronologique, du renouveau poétique que représente Le Crève-cœur (1939) au grand poème de la crise de l’utopie communiste qu’est Le Fou d’Elsa (1963). Se dessine ainsi l’itinéraire singulier d’un poète qui, soucieux de « prendre l’événement à la gueule », écrit pour croire.
Introduction
Première partie : Nécessité de la poésie en temps de détresse
I. Comment écrire en temps de guerre ?
1. Retour sur les années trente : de la « poésie insupportable » à la sommation de la guerre ?
2. Une « guerre de religion »
3. De la Renaissance au marxisme : l’humanisme, « foi rationnelle »
II. « Poésie et défense de l’homme »
1. Septembre 1939 : de la « foi rationnelle » à la foi assiégée
2. Retrouver la liaison perdue : le rôle de la rime
3. Se retrouver : le geste autobiographique du poème, « daté comme un article »
III. Une éthique de la négation
1. Le refus de laisser aux faits le dernier mot
2. Le réel et son double
3. Une « métaphysique à l’optatif »
4. De la réalité à la « vérité », un saut axiologique
IV. L’espoir, force motrice fragile
1. De l’espérance chrétienne à la contrainte d’optimisme marxiste
2. « Savoir vouloir » : la mise en œuvre d’une volonté forcenée
3. Une foi en quête de légitimité
Deuxième partie : Du doute au prophétisme, un chemin original
I. Les failles de « l’optimisme de décision »
1. Une douleur ontologique
2. La contrebande du malheur personnel
3. Une décompensation périlleuse mais libératrice
II. La surenchère comme esthétique compensatoire
1. Le langage : un pouvoir dérisoire et conjuratoire à la fois
2. Grandiosité et dépassement du doute par l’exploit
III. Au tourniquet du « faire croire » et du « croire » : les dessous de la posture du prédicateur
1. Croyance et prédication : le détour galvanisant par la « scène de l’autre »
2. Les garants externes de la foi
a. Le spectacle du courage d’Elsa Triolet
b. De « l’étoile Elsa » à la « statue » de Victor Hugo
IV. Une parole habitée : la voix du prophète
1. « Le Premier » : de la scène du tournoi à celle de la prophétie
2. Brocéliande : l’avènement du prophète
a. « Minuit dans l’histoire »
b. L’attente
c. Les trois temps du messianisme
d. Le rossignol : figure de l’espérance, du prophète, du croyant
3. Une prophétie adossée à la connaissance : le rôle de la Révélation
a. Matérialisme marxiste et prophétie : l’eschatologie revisitée
b. Octobre, révolution et Révélation
c. Les épiphanies personnelles d’Aragon
V. L’engagement du croyant : du témoignage au martyre
1. Le témoignage, condition d’accomplissement de la Révélation
2. Chaîne testimoniale et « chaîne-sans-fin » des machines à écrire : « Les martyrs »
3. Naissance d’un témoin : croyance et filiation
a. Assignation à témoigner et dépassement du sentiment d’imposture
b. Un texte hybride, entre monument et document : la superposition du judiciaire au religieux
VI. Les martyrs, relais symboliques : entre reconnaissance, canonisation réticente et fantasme identificatoire
1. Une incarnation absolue de la foi
2. Dette, légitimation : des économies circulaires
3. Célébrer sans écraser : raison affective contre raison idéologique
4. Le modèle anthropologique du martyre, idéal inaccessible au poète
Troisième partie : Dans la forge du sacré : l’ère effervescente
I. Un programme : les mythes « remis sur leurs pieds »
1. Attitude croyante et force motrice
2. Un pari subversif
3. Politzer/Aragon, courant froid contre courant chaud
4. « Europe française » et lecture mythique de l’Histoire
II. Le bricolage mythique
1. Le syncrétisme fabuleux de Brocéliande
2. La « réincarnation de la légende dans l’Histoire »
3. Le mythe comme préfiguration
4. Un « objet transitionnel collectif » aux enjeux politiques sous-jacents
III. La fabrique du héros
1. Gabriel Péri ou le héros comme divin de circonstance
2. Héros à imiter/héros à révérer : de la scène épique à la scène religieuse
Quatrième partie : L’institutionnalisation du croire : la posture du prêtre
I. « Préface au désenchantement » : le défi de la routinisation
1. « Rien n’est jamais comme on rêve »
2. « Le peuple ne commande pas »
II. Mes caravanes ou L’imposition d’une liturgie communiste
1. L’emprise du sacré sur l’espace : le balisage du territoire
a. Itinérance, remembrement national et évangélisation
b. Un trait d’union entre passé et avenir : du pèlerinage à la procession
2. Le dépassement de la « religion civile à la française »
a. Le calendrier communiste : un temps transi de sacré
b. Une tradition inventée ?
Cinquième partie : Calcification et crise de la croyance : le poème au risque de l’illisible
I. L’écriture « à ciel ouvert » à l’épreuve de la Guerre froide
1. Le poids des circonstances
2. Les Yeux et la mémoire : une double illisibilité ?
3. La « liaison » d’Aragon avec le communisme : quelques éléments de contextualisation
II. L’oblation du sujet poétique à l’idéologie : une proclamation d’orthodoxie
1. La diction du catéchisme
a. Une Histoire sans contradictions : le communisme comme destin
b. « On vient de loin » : autocritique en vers et rôle de la prédestination
2. La célébration des sacra
a. Le mot « peuple »
b. « Qu’est-ce que nous serions sans le Parti ? »
3. Orthodoxie et emprisonnement dans l’univocité : un constat, des hypothèses
III. Symptomatologie de la foi défaillante : la dissolution de l’objet
1. La fuite en avant lyrique, stratégie compensatoire
2. L’inconsistance du dogme, « assurance tous risques » de la foi
3. Plus qu’un contenu, une structure : le repli sur l’étai psychique
a. Passion de la certitude/ passion de la servitude
b. Une « police travestie en Église » ou la « solution politique du problème personnel »
c. L’institution, une valeur-refuge : la focalisation sur la relation de confiance au détriment du credo
4. Ultime recours, l’antagonisme comme adjuvant de la foi : « croire contre »
a. La diabolisation de l’ennemi
b. La scène axiologique : les secours du manichéisme et le rôle des « mots étendard »
c. Le poème comme tribunal
IV. La crise de la foi et sa dénégation : un sujet écartelé
1. La mise en scène de la remise en question de la croyance : « la mauvaise foi au service de la foi »
2. Le clivage, échappatoire pour le sujet, condamnation pour le texte
3. Le retour du refoulé : dans le théâtre de la vie, le « rôle » de militant
4. Vertige soviétique et véhicule religieux
Sixième partie : L’ébranlement de la croyance : de l’illisible à l’indicible
I. Le rapport Khrouchtchev, un « non-événement » ?
1. Un rapport à la date problématique
a. Rupture ou continuité ?
b. Une réception affectée d’une double erreur : 1956… ou ce qui s’ensuivit ?
2. Le XXe Congrès, « événement paradoxal » pour Aragon
3. Au piège de l’indicible : la responsabilité du PCF
II. Défense de l’indicible : une position ambivalente
1. La hantise de l’aveu
2. Au miroir de Matisse : cruauté du dire, cruauté du taire
3. Dramatisation d’une confession impossible : la délégation à la forme des difficultés liées au fond
III. « Ce que j’aime » : croire, une histoire d’amour fusionnelle
1. Tropisme passionnel et indifférenciation de l’objet
2. Oblation et dilution de l’identité individuelle
3. À l’origine de la posture sacrificielle : la dimension palliative du rapport à l’absolu
IV. Majesté et vanité du martyre
1. Dynamique rédemptrice, fusion et jouissance
2. Entre fonction de légitimation, narcissisme et intimidation : ébauche d’une critique du martyre
V. Portée et limites de la critique de l’utopie
1. Une analyse lucide des pièges de l’utopie : les percées de « La Nuit de Moscou »
2. Déflation de l’avenir et repli sur l’amour : Elsa, relais d’une croyance blessée
3. Réaménagement de la foi et prétention au dégrisement : « le double jeu »
4. « Un côté de cette histoire » : la révision ambiguë
Épilogue : Faillite de l’utopie et désorbitation de l’objet de croyance
I. L’Histoire comme « perpétuelle tragédie »
1. La métaphore de Grenade
a. Le poème au défi : l’illimitation du genre
b. L’ombre portée de l’Histoire parallèle
c. Mise à nu du cœur saignant des choses : mensonge et aveuglement
2. Une conception tragique de l’Histoire
a. Renoncement à la fonction de prophète et dénonciation du camouflage lyrique
b. Au sommet de la honte : Safar et le « reflux de l’enfer dans l’homme »
c. Perte de sens, tentation de la folie et nécessité de la fable
II. L’amour, seul absolu : sauvetage de la foi et échappée mystique
1. Greffe du thème d’Elsa sur celui de Grenade : le sens d’une « relève »
2. Le « culte monstrueux » : amour courtois et pulsion sublimante
a. « Elle seule… » : un être unique, synecdoque du monde
b. Motif courtois, idéalisation et « enchère d’aimer »
c. Déréalisation d’Elsa, signifiant de l’amour absolu
d. L’impossible immanence de l’amour
3. Le tournant mystique : de la dépossession à l’assomption du sujet dans la langue
a. « Prendre son rêve où on le trouve » : le détournement du religieux
b. Le dire mystique : les paradoxes d’une parole blessée
c. Fiction d’incompétence et assomption du sujet dans la langue
Conclusion
Bibliographie
Index des poèmes cités
Index nominum
28,00 € TTC
Presses Universitaires de Strasbourg
Université de Strasbourg
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tél. +33 (0)3 68 85 62 65
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