Pourquoi vous êtes-vous intéressé à l’alimentation et à sa dimension politique ? Comment ce sujet – éloigné de votre spécialité – s’est-il imposé dans votre travail de chercheur ?
A l’université de Strasbourg, l’alimentation était un thème de travail collectif et transverse au Groupe d’études orientales, slaves et néo-helléniques (GEO), l’équipe de recherche à l’origine de ce livre et à laquelle j’appartenais alors, et au Groupe d’études des sciences des religions et théologies (GIS SCIRTHES). J’ai eu dans ce cadre l’occasion de travailler sur la question de l’alimentation carnée dans la pensée juive, puis on m’a confié la codirection du livre. Ses différentes contributions portent sur ce qui sont peut-être les tensions constitutives du thème de l’alimentation : en elle, s’articulent l’individu et le collectif, la nature et la culture. S’il est vrai que ce domaine paraît éloigné de mon champ de spécialité (la pensée juive médiévale), il n’en reste pas moins que l’alimentation joue un rôle central dans la définition du collectif juif, en tant que groupe minoritaire, et que les Juifs constituent un cas d’école pour analyser la dimension politique de l’alimentation. Le terme d’assimilation par exemple qui est une métaphore organique, digestive, d’une extrême violence a ainsi d’abord été appliquée aux Juifs.
Qu’apporte et que met en lumière l’approche transdisciplinaire, avec diversité des époques et des cultures ?
Il me semble que l’apport principal de l’ouvrage tient dans le fait qu’il repose sur des “études de cas”, expression que nous avons voulu maintenir comme sous-titre. Le cas, c’est un élément singulier qui permet de dire l’universel, à travers l’un de ses aspects. S’agissant de l’alimentation, on comprend qu’en définitive on ne peut en parler qu’à partir d’une situation concrète et incarnée. Le livre permet d’appréhender les rapports entre alimentation et politique à travers un kaléidoscope de différentes cultures et époques. Il est très frappant de repérer des constantes : comment par exemple, les livres de cuisine participent non seulement à exprimer mais à forger des identités collectives, aussi bien dans le monde arabe médiéval, que dans la société israélienne contemporaine.
Est-ce qu’aborder des sujets – considérés a priori comme léger ou populaire – est un bon moyen de mieux valoriser la recherche et la connaissance ? Comment renforcer le lien entre université et société ?
J’ai personnellement toujours été fasciné par la façon dont la pensée pouvait produire du sens à partir d’objets éminemment triviaux. Le Talmud passe son temps à parler de choses banales pour en tirer des enseignements essentiels. Aristote ou Hegel n’hésitent pas à parler philosophiquement des cailloux ou des fleurs. Les sciences sociales s’intéressent à des objets que d’autres sciences humaines avaient jugé indignes de la pensée. Avec ce livre, on a un bon exemple de ce geste réflexif qui permet d’éclairer d’un nouveau jour une expérience commune, qui en l’occurrence concerne absolument tout le monde. C’est peut-être un des éléments de réponse à la question sur les liens entre université et société : trouver des objets qui parlent à tout le monde et savoir les faire parler.